Grands-parents et petits-enfants : ils se sont confinés ensemble

TÉMOIGNAGES – Alors qu’un reconfinement se profile, les souvenirs du second confinement reviennent. Au mois de novembre dernier, Louise, Agathe et Pierre sont partis de Paris pour rejoindre leurs grands-parents et vivre autrement ce confinement. Entre rires, incompréhensions et longues discussions sur la vie et la mort, récit de 50 jours de cohabitation entre deux générations.

À quelques jours de l’annonce du deuxième confinement au mois d’octobre dernier, Pierre a du faire face à un dilemme. Rester à l’étroit dans son 13m2 dans le XIVème arrondissement de Paris ou partir en Lozère, chez ses grands-parents maternels ? «J’ai fait trois fois le tour de mon appartement, j’ai imaginé ce que je pourrais y faire et je me suis décidé à partir», raconte l’étudiant parisien aujourd’hui en riant. Ayant tous ses cours en distanciel, ce jeune de vingt ans pouvait « théoriquement aller partout en France » mais les choix ont vite été limités et la décision prise.

Hors de question pour ce fils unique de retenter l’expérience du premier confinement en tête à tête avec ses parents dans un appartement en banlieue parisienne. «J’avais besoin d’air, de voir autre chose, de plus d’espace et de solitude». Le 30 octobre, au matin, Pierre fait donc sa valise pour Mende, ville de 12.000 habitants « et pourtant capitale de la région », ironise-t-il. Sur le quai l’attendaient Catherine et Jacques, tous les deux âgés de 73 ans. « On était si contents qu’il vienne nous voir, passer du temps avec nous », se remémorent encore ravis les deux septuagénaires. Ils avaient tout préparé. « Une chambre pour qu’il travaille », « un lit douillet pour qu’il dorme bien », Pierre était attendu comme un prince. Un enthousiasme que le jeune homme a mis du temps à partager. Après avoir longtemps hésité, il s’est finalement décidé « car c’était la meilleure solution» et « une autre forme d’aventure».

Louise a elle aussi longtemps tergiversé. « C’était risqué », confie-t-elle. Habituée à vivre toute seule, elle appréhendait l’idée de partager son quotidien avec Joëlle et Jean dans la Creuse. « On s’aime beaucoup mais ce n’est pas pareil de se voir à Noël que de vivre ensemble 5 semaines. » En télétravail, la jeune femme de 26 ans a installé son bureau au dernier étage de la maison de ses grands-parents. Finis la vue sur les tours de La Défense ou les toits grisâtres de Paris, bonjour la verdure et les vaches au loin. « Le cadre est incroyable, ça n’a rien à voir avec mon quotidien particulièrement morose quand on est confiné ». Louise a vécu le premier confinement de mars dans son appartement parisien. Elle refuse de revivre la même expérience au mois d’octobre. Non pas que la solitude l’ait dérangée mais « une angoisse permanente », et un « profond sentiment d’être à l’étroit ». Cette fois-ci, elle a choisi l’opposé. De l’espace, de la verdure, du grand air mais aussi des repas, discussions et soirées partagées avec « Papi et Mamie J », les « GI » comme elle aime les appeler. Eux étaient « contents » mais « un peu anxieux ». Les longues heures confinées inquiétaient les grands-parents : « on avait peur de ne pas arriver à s’occuper », confie Jean. Sa petite-fille, il la « connaît bien » mais « il n’en savait pas assez sur son quotidien, sur ce qu’elle aimait vraiment faire ».

Régimes alimentaires et opinions politiques, sources de discorde

Jeux de cartes ou de dames, longues discussions autour d’une tisane verveine menthe, jardinage, cuisine, ménage, bricolage : les occupations pendant 50 jours ne manquaient pas. Pour Germaine qui a accueilli sa petite fille Agathe dans le Loiret, les idées d’activités ont fusé dès qu’elle a annoncé qu’elle la rejoignait. Contrairement à ses amies, la sexagénaire a vu le mois de novembre comme une possible multiplication des activités. « Elles avaient toutes peur de s’ennuyer, pour moi c’étaient comme des grandes vacances », se souvient la senior. Finie la solitude et les soirées devant les téléfilms, Germaine, veuve depuis quatre ans, a vu son quotidien soudainement bien occupé. Agathe est devenue sa meilleure partenaire de jeu « même si elle ne connaissait pas toutes les règles ». La jeune fille s’est pliée à ces nouvelles occupations même si « ce n’était pas tout à fait ce qu’elle avait prévu ». Dans son programme, pas de parties de cartes ou de Uno mais des films, des séries et des bouquins. « Je me suis adaptée, c’était super sympa, note-t-elle, même si sur d’autres choses nous n’étions pas d’accord ».

La liste est longue, à commencer par la nourriture. Agathe est végétarienne, Germaine, grande amatrice de viande. Difficile pour la grand-mère de « régaler sa petite-fille » dans ces conditions. Alors, elle a essayé « au moins pour lui faire goûter ». Premier soir, sur la table, une andouille accompagnée de petites pommes de terre l’attendait, un classique de la région, « indispensable quand on vient ici », ajoute Germaine. Un festin pas aux goûts d’Agathe. La scène s’est donc répété à chaque tablée du déjeuner voire du dîner. La jeune fille s’est rapidement sentie « enfermée comme dans un abattoir » même si elle concède qu’elle exagère « un peu ». Une prison dont la seule clé était le dialogue. Alors, au bout de quatre jours, l’étudiante a pris son courage à deux mains et à mis les pieds dans le plat : « je lui ai dit que j’étais mal de manger autant de viande et si peu de légumes ». Germaine l’a bien pris même si elle n’a pas compris « son désaveu de bêtes, élevées dans de bonnes conditions par des fermiers responsables ». Pour se faire pardonner, Agathe a proposé de faire la cuisine tous les soirs, lui faire découvrir de nouveaux légumes et de nouvelles saveurs. Un compromis qui a ravi les papilles des deux « colocs de quarante jours », une occasion de partager sans trop se prendre le choux.

Apprendre des expériences des uns et des autres même s’ils ne partagent pas les mêmes opinions. « Mes grands-parents votent à droite, détestent le gouvernement et frôlent le complotisme, raille Louise, l’opposé de ce que je pense ». Les débats ont donc été animés. Masques, confinement, vaccins, restaurants, poids économique, les sujets n’ont pas manqué. À cela se sont ajoutés les sujets bioéthique, pilule, éducation sexuelle et sites de rencontres. « Fatigant parfois », avoue Jean, le grand-père « un peu dépassé par tout ça ». Joëlle a « découvert la vraie vie de sa petite fille, des plaisirs bien différents de sa jeunesse ». Mais tous se sont instruits des instants partagés. Des altercations parfois houleuses qui ont permis d’éviter que le mois de novembre rime davantage avec frénésie qu’avec ennui.

Sont-ils prêts à repartir pour un troisième tour ? C’est un « oui » pour Agathe et Pierre. Louise, elle, est sceptique. « C’était bien, une super occasion pour mieux se connaître » mais si un troisième confinement est annoncé, elle choisira « encore autre chose, pour changer ». Et Germaine, Catherine et Jacques, Joëlle et Jean, les grands-parents « GI » ? « Avec plaisir ! », répondent-ils tous. Pour eux, c’est une occasion de rompre la routine, comprendre cette jeunesse privée de sorties et de plaisirs pour sauver leur santé « à eux, les boomers ».

Marie-Liévine Michalik