Tricot et broderie, une affaire de vieux ?
Le tricot et le crochet ne sont plus des activités réservées uniquement à nos aïeux. De plus en plus de jeunes cassent les clichés et piétinent les stéréotypes sur ces « hobbies de mamie ». Avec les longues journées du premier confinement, de nombreux enthousiastes ont commencé à tricoter, broder, coudre et crocheter.
Les clochettes de la porte d’entrée tintent sans cesse. Dans la boutique Ultramod, la mercerie incontournable du 2e arrondissement, jeunes et seniors se pressent pour acheter des boutons fantaisie, tissus pour masques, fils en soie et autres accessoires de couture et de tricot. « J’aimerais personnaliser la robe de baptême de ma filleule, l’accessoiriser d’un liseré bleu, avec un joli ruban », explique Annaëlle, 26 ans. Accompagnée de sa maman, l’étudiante en droit est à la recherche d’un ruban gaufré, couleur bleu ciel. « Pour que sa robe soit unique et que d’ici plusieurs années elle se souvienne qu’on avait apporté une petite touche d’amour en plus », glisse la jeune femme dans un sourire.

Mère et fille sont des habituées de la boutique, qui auparavant était une bonneterie. « Depuis 1832, c’est une mercerie. On y vend de tout et même de la colle pour coller les passementeries de rideaux [ndlr : gros cordons, dentelles, franges] »,s’amuse Nathalie, une des vendeuses. Cette « touche d’amour en plus » qu’évoquait l’étudiante s’explique selon la commerçante par « la volonté de créer soi-même des petits accessoires ou de personnaliser des habits ».



Pour les vendeuses Kaoli et Nathalie, la mode s’est « homogénéisée et grisonne » depuis plusieurs années. Cette dernière comprend que les jeunes filles ne s’y reconnaissent plus et qu’« elles [aient] envie d’avoir des habits uniques ». « Depuis 3-4 ans on a tous les jours des adolescentes et des jeunes adultes qui viennent acheter des aiguilles à tricoter, ou du fil en coton pour rapiécer leur pantalon, détaille Nathalie. Avec le Covid-19, il y a de vraies préoccupations écologiques et économiques qui font que de plus en plus de jeunes personnes s’intéressent à ces activités manuelles ».
La couture comme lien générationnel
Dans cette mercerie, véritable kaléidoscope multicolore, où s’amoncellent du sol au plafond, boutons, fils en coton et en soie, rubans, et chutes de tissus, chacun trouve son bonheur. Emmeline Pinsont, ancienne postière, est venue chercher « des boutons, grands, plats, couleur écru », pour les coudre sur le gilet de son petit-fils. Pour quatre boutons taille 22, elle en a pour 4,50 euros. « C’est pour raccommoder un gilet en laine que je lui ai confectionner pour ses 10 ans et qui bizarrement a perdu ses boutons », glisse la retraitée, l’œil rieur. Avec ses enfants et petits-enfants, ils tricotent et font de la broderie. « Maintenant que la couture n’est plus apprise sous la baguette d’un professeur, mais au sein de la famille, c’est devenu un plaisir pour les jeunes. J’ai d’ailleurs offert une machine à coudre à l’une de mes petites-filles pour Noël », précise la retraitée du service public.

C’est pareil pour Marie Nussbaumer, étudiante en droit à Strasbourg. Elle a commencé le crochet à l’âge de 10 ans, inspirée par la pratique de ses deux grand-mères. Lors d’une semaine d’activités périscolaires, elle a confectionné une poupée, qu’elle a toujours conservée. « J’en suis plutôt fière. Avec le patron j’ai pu crocheter plusieurs robes pour ma Hello Kitty ».

Angèle Talide, commerciale en informatique, doit aussi sa passion pour le tricot à sa grand-mère, Dora : « elle m’a appris le bon geste et m’a donné petite, le goût de découvrir le tricot. Et puis j’ai continué en autodidacte. Plus ça m’agaçait de rater mes mailles, plus j’avais envie de recommencer et de réussir ».
La personnalisation, remède à la morosité
Actuellement en pleine confection d’une écharpe multicolore, « effet gaufrette pour que ça isole bien », la jeune commerciale ne demande plus trop de conseils à sa grand-mère, mais trouve des solutions sur Internet : « je regarde beaucoup de tutoriels sur YouTube. C’est vraiment très pratique et utile car on voit les mailles en gros plans et au ralenti ». Elle avoue qu’elle ne sait pas si elle va garder ou offrir cette écharpe qui ressemble à une « sucette Candy » car « donner un cadeau personnalisé qu’on a créé de nos mains et pas trouvé dans un grand magasin, ça fait toujours plaisir à recevoir ».

C’est sur cette vague de personnalisation et d’individualisation des codes vestimentaires que surfent des influenceuses, aujourd’hui à la tête de boutiques en ligne de broderies personnalisées après un succès de leurs confections personnelles sur Instagram. Pour Marie Dumont, 30 ans, instagrammeuse et fondatrice de « Mon Petit Cul », boutique en ligne de broderie, l’aventure a commencé lors du premier confinement lorsqu’elle a offert un t-shirt à sa meilleure amie, où elle avait brodé une paire de fesses bien rebondies en maillot de bain. « L’effet recherché du cadeau original était là ! C’est extrêmement mignon et rigolo de recevoir un cadeau avec écrit ‘mon petit cul’ sur la poitrine. Sur la boutique en ligne je brode aussi des mots doux et selon les photos que les gens m’envoient ».

Léa Le Gall, auto-entrepreneuse de 27 ans et « brodeuse professionnelle depuis 4 ans » a quant à elle, commencé à faire de la broderie à l’adolescence. Le déclic ? Le film « Brodeuses », réalisé par Eleonore Faucher, qu’elle a vu à sa sortie en 2004. Après un brevet des métiers d’art à Rochefort, l’influenceuse a travaillé « en intérim dans des ateliers de broderie perles et paillettes pour des maisons de luxe comme Chanel ou Valentino ». Depuis, elle fait de la broderie personnalisée sur textile dans son atelier Léa LG. Sur son site internet, elle propose la personnalisation de t-shirt, de culottes à froufrous et même de paires de sneakers Converse. « Voir que je m’éclatais autant à broder a produit de l’enthousiasme chez mes copines, elles aussi adorent désormais customiser à la main leurs outfit [ndlr : habits] mais aussi chez mes followers ! Ma communauté ne cesse de grandir et les gens s’inspirent de plus en plus sur Internet », assure l’entrepreneuse.
Chercher ses inspirations sur YouTube, Instagram et Pinterest
Maëliss, blogueuse de tricot depuis 2015, publie chaque jour ses créations sur son compte Instagram « Des Mailles et Des Aiguilles ». Sur la plateforme YouTube, la lyonnaise de 23 ans met également des vidéos explicatives et des conseils pour réussir tel patron de pull ou de chaussettes multicolores. Pour cette jeune fonctionnaire du ministère des Armées, le tricot est une échappatoire au stress du quotidien : « chaque soir, je tricote pendant 2h et j’y passe mes weekends. En tout, je tricote environ 20 à 25h par semaine ».
« Pendant le confinement, le nombres de vues de mes vidéos a presque doublé », se félicite cette amoureuse du tricot dont les vidéos cumulent chacune plus de 2000 visionnages. Pour elle, le confinement a permis de démocratiser des activités habituellement réservées aux personnes plus âgées. « Il y a eu une véritable prise de conscience, chez les jeunes comme les moins jeunes, que regarder le téléphone du matin au soir est lassant. Et que faire quelque chose de nos mains, comme le tricot ou la couture, est vraiment agréable et qu’on peut offrir nos créations à nos proches ».
Face aux échecs des débuts (« des robes pour mes poupées trouées de partout »), elle se souvient d’un conseil de sa grand-mère Danielle. C’est elle qui, à l’âge de 7 ans, lui a transmis la passion du tricot : « faire et défaire c’est toujours travailler ». Persévérance et patience sont donc les mots clefs pour bien lancer dans une activité manuelle comme le tricot, la couture ou encore la broderie. Pour les débutant.es, Maëliss conseille les patrons sur le site Ravelry, comme celui-ci pour se lancer dans la création d’une paire de « chaussettes guacamole ».
Emma Ruffenach
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