Les fausses informations, une question de génération ?
Ils semblent irréconciliables sur le sujet. Alors que les fake news et les théories complotistes prennent de plus en plus de place dans nos sociétés. Qui, de nos chers boomers, (65-75 ans) ou de la génération Z (15-25 ans), est le plus sensible à la désinformation ?
Des jeunes, plus sensibles à la désinformation ? «J’en suis sûr à 100%», répond Jacky, retraité. Pour cet ancien boucher-charcutier des Hauts-de-France, la réponse est toute trouvée : «L’expérience, la sagesse et la culture que j’ai accumulées au cours de ma vie me rendent forcément moins crédule qu’un adolescent.» Jacky n’est pourtant pas « vieux jeu » selon lui, il est un utilisateur régulier des réseaux sociaux, friand d’informations en ligne. Il ne croirait pas «à n’importe quoi». «L’information est un métier, je n’irai pas acheter ma viande chez le poissonnier», justifie-t-il métaphoriquement.
L’ancien boucher est-il pour autant aussi imperméable aux fausses nouvelles qu’il le laisse entendre ? «Si vous étiez en ligne, et que vous tombiez sur un article du média France Soir, vous le jugeriez fiable ?», questionne Boomer. «Il faudrait d’abord que je lise, mais j’aurais tendance à penser que venant d’un grand quotidien français, l’information y serait sûre , répond le retraité. Raté pour cette fois. Le quotidien fondé par Pierre Lazareff, autrefois titre phare de la presse française au côté du Monde ou du Figaro, n’est plus que l’ombre d’elle même, un «site complotiste», comme l’explique Le Parisien dans un article fouillé. «Maintenant que vous le faites remarquer, j’accorde peut-être trop ma confiance à ce qui se présente comme du journalisme», admet, beau joueur, Jacky.
28% des 18-24 ans adhèrent à des théories du complot
D’après un sondage IFOP pour la fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch rendu public en 2019 par Franceinfo, 45% des jeunes de 18 à 24 ans s’informent en priorité sur les réseaux sociaux et sur Internet, contre seulement 16% des 65 ans et plus qui, eux, privilégient la télévision et la radio. Selon une autre enquête de l’institut de sondage, «les moins de 35 ans, les moins diplômés et les catégories sociales les plus défavorisées seraient les plus perméables aux théories du complot : 28 % des 18-24 ans adhèrent à 5 théories ou plus, contre seulement 9 % des 65 ans et plus.»
Lucie, en terminale à Rueil-Malmaison, reconnaît qu’elle s’intéresse assez peu à l’actualité et s’informe principalement sur Instagram, ou encore Snapchat. «La plupart du temps, on identifie assez facilement les fake, mais il y a quand même d’autres personnes qui se font avoir même si elles sont minoritaires. Quand j’étais en seconde, une fille de ma classe était persuadée que la terre était plate, elle le croit encore.» Pour Victor, ce n’est toutefois pas une question d’âge. «Je fréquente très peu les sites d’information traditionnels, reconnaît-il, mais sur les réseaux sociaux je privilégie les sources sûres, et j’ai conscience que tout n’y est pas vrai», ajoute l’étudiant en 1ère année de sciences politiques à l’université de Nanterre. «Ce serait plutôt aux personnes plus âgées de faire attention à ce qu’elles partagent sur les réseaux sociaux», fait-il remarquer.
Les personnes âgées partagent 7 fois plus de fausses informations
En 2019, la revue Science Advances a publié une étude dans laquelle ses auteurs se sont intéressés à la propagation des fausses informations pendant l’élection présidentielle américaine de 2016. Un point intéressant en ressort : les personnes de plus de 65 ans ont partagé sept fois plus de fausses nouvelles que les 18-29 ans. «L’âge ou les diplômes importent finalement assez peu, c’est l’usage et la manière de s’informer qui sont déterminants», décrypte Rudy Reichstadt, co-fondateur de Conspiracy Watch. «Nous observons tous les jours des personnes du 3e âge qui partagent absolument n’importe quoi, et sans doute bien plus que des personnes nées avec Internet, mais la part des personnes âgées qui s’informe sur les réseaux sociaux reste minoritaire», détaille-t-il.
«Personne sur Internet, comme sur les réseaux sociaux, n’est imperméable à la désinformation». Pour Caroline Faillet, co-fondatrice de Bolero, un cabinet d’étude sur l’influence d’Internet sur le comportement du public, et auteure de Décoder l’Info (Babelio, 2018), la désinformation s’adapte sans problèmes aux usages des utilisateurs et à leurs motivations psychologiques. «Les fausses informations qui cherchent à générer du like, ou à créer le buzz sont en général plus populaires chez les jeunes, analyse-t-elle. Chez les seniors, c’est la peur qui jouera un rôle important dans leur manière de diffuser l’information, on en voit ainsi diffuser de fausses informations sur le Covid-19 ou encore sur la situation dans les Ehpad.»
L’éducation aux médias, un travail essentiel
«La différence entre les moins de 25 ans et le reste de la population, c’est que leur réseau d’information est à 100% numérique et qu’ils sont par conséquent bien plus confrontés à la désinformation », analyse Thomas Huchon. Pour le journaliste et documentariste spécialiste des fake news et des théories conspirationnistes, les jeunes, au regard de leur exposition aux fausses informations, n’y seraient pas aussi perméables que l’on aimerait le penser. «Si on ne fait toutefois rien pour les aider à développer leur esprit critique, à ce moment-là, ils deviendront des croyants, et plus des rationnels», ajoute le journaliste.
Depuis quelques années, «presque par militantisme», Thomas Huchon intervient dans des classes de collèges et lycées en partenariat avec des enseignants afin d’y faire de l’éducation aux médias et de la sensibilisation aux fake news. «Je commence par leur montrer une vidéo complotiste montée par mes soins, puis je leur demande d’y réagir, de me dire s’ils y croient ou pas, relate-t-il. Ensuite, je leur révèle que tout est faux et les invite à créer leurs propres théories pour qu’ils puissent analyser la manière dont elles sont construites.» Pour lui, il est primordial que la jeunesse réalise que les réseaux sociaux basent leur rapport à l’information sur l’émotion de ses utilisateurs. Un «j’aime», un «rire», ou une «larme», n’ont pour but que de leur faire perdre du temps sur leur plateformes et de penser à travers leurs émotions et non leur raison. Le journaliste, qui souligne qu’il ne pourrait pas faire ces interventions sans les professeurs, aimerait que le gouvernement en fasse plus sur la sensibilisation aux dangers de la désinformation : «Si les institutions faisaient ce qu’il faut, je n’aurais pas eu à faire 145 interventions auprès des élèves».
Tom Hollmann