« Dieu est plus présent dans ma vie », portrait des jeunes plus croyants que leurs aînés
Alors que toujours plus de Français se déclarent athées — 31% en 2019, selon la dernière étude de l’Observatoire de la laïcité — des jeunes retrouvent le chemin de la religion en adoptant des pratiques parfois plus prononcées que celles de leurs grands-parents. Portrait du renouveau religieux en France.
Le mercredi est une journée classique pour tous ces camarades de fac. Malgré la situation sanitaire et les règles sanitaires, entre midi et deux, ils se retrouvent pour déjeuner chez les uns ou chez les autres. Claire, elle, n’y sera pas. Elle profite de la pause du déjeuner pour se rendre à la messe à côté de chez elle. «Une habitude» qu’elle a prise depuis deux ans. Contrairement à ses parents et grands-parents qui n’y vont qu’une à deux fois par an, «pour Noël et pour Pâques», Claire s’y rend plusieurs fois par semaine car c’est pour elle «un vrai lieu de ressourcement». Ce sont des amis, lors de « vacances entre potes», qui ont rapproché l’étudiante en école d’ingénieurs âgée de 19 ans, de la foi catholique. «J’ai été baptisée puis j’ai fait ma première communion», se souvient-elle. Enfants, ils allaient à la messe «de temps en temps» mais c’était «plus par tradition». Ses amis, tous membres de groupes scouts ou d’aumônerie, lui ont «montré l’importance de vivre pleinement sa foi». La jeune fille s’est laissée guider et elle les a rejoints. Un changement qui n’a pas plu à toute sa famille.
Tension, incompréhension, réconciliation
Dès que Claire a essayé de parler de ses nouveaux choix de vie, ses parents et son frère n’ont pas compris. «Ils se sont braqués, comme si c’était grave ce que je faisais, ajoute-t-elle, déçue. Ma mère m’a même dit que mes amis m’avaient entraînée dans une secte.» Un soir, à table, la discussion autour de sa conversion a été lancée «et s’est mal finie». Son frère et sa soeur lui ont d’abord posé beaucoup questions «sur pourquoi ci et pourquoi ça», avant que leur père ne renchérisse, doutant même de «l’intelligence» de sa fille, «nécessaire pour ne pas tomber dans de telles absurdités». Ce fut l’attaque de trop pour Claire qui a quitté la table. «Je n’en pouvais plus, c’était comme ça tous les jours, tout était bon à être critiqué, ce sont mes choix, pas les leurs».
Pour Abdel aussi, la confrontation fut rude avec ses parents. Fils unique, ce jeune homme de 22 ans a décidé de «vivre plus rigoureusement l’islam». Comme Claire, ce sont ses parents qui lui ont transmis les rites et traditions de cette religion qui les avaient eux-mêmes bercés enfants. Amina et Hazem ont tous les deux grandi dans une famille musulmane, d’origine algérienne. «On s’est marié selon la tradition mais sans excès et nos enfants n’ont pas été éduqués dedans», expliquent-ils. Face à la nouvelle ferveur de leur fils, ils «n’y ont pas cru au début». «Pour nous c’était juste une lubie, un besoin d’identité qu’il partageait avec ses amis à l’école, ça allait lui passer», raconte Hazem. Mais le jeune homme ne désespère pas. Il décide de suivre des cours d’arabe, s’attèle aux cinq prières quotidiennes puis durcit la rigueur de son ramadan. «Je m’en foutais de ce que disaient mes parents. J’avais juste peur qu’ils me prennent pour un intégriste». Un mot qu’Abdel refuse d’être accolé à son nom ou celui de ses amis. «Ce n’est pas parce que nous croyons en Allah que nous sommes djihadistes. S’ils sont incapables de croire, eh bien tant pis», soupire-t-il, en colère. A-t-il hésité à leur dire ? Oui, mais il estime « ne pas à avoir honte de ce (qu’il était) devenu». Au bout d’un an de disputes devenues presque quotidiennes, la famille a cessé de combattre le choix de leur fils. «On ne veut pas le perdre à cause de tout ça, ce sont ses choix après tout, tempère Amina, tant qu’il veut bien nous voir, on l’aimera toujours.» Abdel lui, évite de venir les jours de fête ou pendant le ramadan. Il préfère d’ailleurs les vivre avec d’autres membres de la communauté musulmane, «des gens qui vont partager ses valeurs et ses choix».
Moins nombreux mais plus fervents
Les jeunes à adopter une religion sont moins nombreux que leurs aînés mais plus fervents. Un constat réalisé par l’Observatoire de la laïcité dans leur dernière enquête de février 2019. Le sociologue Philippe Portier analyse une polarisation de la société française : « Une partie croissante de la population s’éloigne du religieux, quand l’autre, au contraire, réactive ses appartenances ». Les familles de Claire et d’Abdel en sont des exemples mais ne sont pas des cas isolés. Plus d’un tiers des quatre millions de musulmans déclarent être pratiquants. Chez les catholiques, sur les 20 millions de Français qui se sentent liés à l’Eglise, ils sont 10% (2 millions) à aller une fois à la messe par semaine. «Mais ceux qui sont là, présents, le sont vraiment», veut croire un prêtre parisien. Amina et Hazem partagent aussi cette observation. «On avait la foi car à notre époque tout le monde l’avait. Mais c’est vrai que notre fils a un plus grand suivi de ce que demande l’islam», ajoute Hazem.
À quoi le regain religieux est-il dû ? Pour les sociologues, les causes sont multiples. Non seulement les religions dites «étrangères» (hors chrétienté et judaïsme) se multiplient en France à l’instar de l’islam et du bouddhisme, mais l’Observatoire de la laïcité note un étalage plus important des réactions religieuses sur de nombreux sujets d’actualité. Enfin, la religion possède «un aspect sécurisant face aux incertitudes de demain», un élément qui attire particulièrement les jeunes en plus de la force d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Un regain du religieux à tempérer selon cette commission gouvernementale, qui conclue non pas à un « retour du religieux », mais davantage à « un recours au religieux » particulièrement fort en période de troubles.
Marie-Liévine Michalik