Nos Daron.ne.s, “une histoire française”
En Seine-Saint-Denis, l’association Ghett’up publie tout le mois de janvier plusieurs épisodes de Nos daron.ne.s, où dialoguent des parents immigrés avec leurs enfants pour balayer les idées préconçues d’une génération à une autre.
Avec Nos Daron.nes., Ghett’up veut faire témoigner les parents immigrés dont la parole a trop souvent été passée sous silence dans les récits sur l’immigration en France. L’association désire aussi briser le tabou de la transmission et aider les jeunes à se réapproprier cette part de l’histoire pour mieux se construire. Pour Boomer, Ihsane Jamaleddine, chargée de ce projet, nous raconte la naissance de cette web-série documentaire à suivre sur les réseaux sociaux.
Boomer : Vous avez fait le choix de faire dialoguer primo-arrivants et enfants, à contre-courant d’ « un choc intergénérationnel ». Quel état des lieux vous a poussé à porter cette initiative ?
Ihsane : La genèse du projet vient d’un constat simple. Les récits n’étaient pas transmis par ceux qui les ont vécus, les immigrés de la première génération. On a voulu leur donner la parole pour avoir leurs mots, leurs expériences et découvrir un peu plus cette intimité, souvent difficile à percer. Aussi, on a remarqué une absence de dialogues entre les enfants et les parents, marqués par la honte de leur immigration ; ce n’était pas forcément une fierté pour eux de quitter un pays pour un autre. Sur la base de cet état des lieux, nos daron.ne.s étaient l’occasion de tisser ce lien important, source de fierté et de transmission légitime.
Boomer : Quand certains appellent à rompre avec le passé, vous parlez de ce besoin « salvateur » d’être des héritiers. Pour quelle(s) raison(s) ?
Ihsane : L’épopée de nos parents est une histoire française. Il faut sans cesse le rappeler et en être fiers. Accepter leur témoignage permet de se construire et de comprendre qui nous sommes réellement. Avant ce projet, je n’avais que quelques bribes de l’histoire de mes parents et je m’en contentais. Puis j’ai décidé de me poser avec eux pour en savoir plus sur leur histoire ; c’est beaucoup plus clair et sensé dans ma tête. Ça m’a permis de mesurer avec plus de précision leur apport.
Boomer : Vous avez aussi mis le doigt sur un tabou, « le poids de l’exil », souvent passé sous silence par la première génération. Pourquoi était-ce important de lever le voile sur ce sujet ?
Ihsane : Il y a une vision très monolithique de l’immigration, enfermée dans une vision économique alors qu’elle recouvre d’autres aspects comme le rappelle notre marraine et historienne Naïma Yahi. Dans le premier épisode, Dany a quitté son pays natal, le Cambodge, pour fuir la guerre. On a aussi pu échanger avec Ahmed qui est venu d’Irak à l’époque pour faire des études d’architecte. C’est important de leur donner leur place et de saluer tous les efforts de reconstruction dans un pays où ils n’avaient plus aucun repère. Avec nos daron.ne.s, nous voulons faire prendre conscience aux enfants de toute cette abnégation pour nous accorder un meilleur avenir. On veut aussi donner aux parents immigrés une image plus juste qu’ils n’ont d’eux-mêmes et qu’il n’y a rien de honteux dans leur parcours. Bien au contraire.
Boomer : Qu’espérez-vous comme suite pour nos daron.ne.s ?
Ihsane : On aimerait bien en faire un documentaire et le diffuser à la télévision. On a un projet de rencontrer des collégiens et des lycéens pour échanger sur les cultures et l’importance d’en savoir plus sur l’histoire de l’immigration de leurs parents ou grands-parents.
Propos recueillis par Yassine Bnou Marzouk