Mijo, 75 ans, fan éternelle de Zelda

Cette gameuse du troisième âge est en train de créer des chaînes Youtube et Twitch, disponibles dès le printemps prochain.

Des grand-mères comme Marie-Jo Anduze Faris, on n’en croise pas tous les jours. Cette femme de 75 ans, que les autres gamers appellent Mijo, est devenue accro aux jeux vidéos depuis qu’elle a touché sa première manette en 1992. À l’époque, elle avait offert la Nintendo Super NES à son fils. Quand il est parti en vacances d’hiver et a laissé la console derrière lui, Mijo n’a pas pu résister. «Je me suis retrouvée seule avec la NES et le jeu ‘Zelda : a link to the past’ et j’ai tout de suite eu envie de jouer. J’avais cinquante ans à l’époque», sourit la septuagénaire au visage doux. «J’ai commencé une partie. Je me suis pris un beau Game Over, puis un deuxième et un troisième», se souvient-elle dans un rire, «et à partir de ce moment-là, j’ai su que j’allais continuer à m’entraîner jusqu’à ce que je réussisse tous les niveaux.» 

Difficile de deviner que Mijo est grand-mère au premier regard. Son air serein, légèrement rebelle, sa frange effilée et cendrée lui donnent presque l’air d’une éternelle étudiante. «Je ne m’entends pas avec les gens de mon âge», poursuit Mijo, «mon amie la plus âgée a quarante ans. J’ai plus de choses en commun avec les jeunes d’aujourd’hui qu’avec les vieux rabat-joie», pouffe-t-elle. Son compte Instagram, sur lequel elle poste des photos de ses acteurs sud-coréens et stars de K-POP (pop coréenne ultra-populaire chez les collégiens et lycéens, ndlr) préférées, a déjà plusieurs centaines d’abonnés. «Je me suis fait pleins de potes d’une vingtaine d’années grâce à Instagram. Elles sont indiennes, coréennes, elles viennent du monde entier. Elles m’apportent de la fraîcheur, de l’énergie et moi je les aide même à faire leurs devoirs». 

Dessins animés, K-POP et jeux de société

En ce moment, la gameuse héberge Boris, un jeune Ouzbek venu étudier près de chez elle en Bretagne, dans le Morbihan. «Eh Boris, viens dire bonjour», appelle-t-elle en détournant le visage de l’écran. «Encore un jeune que j’ai initié à Zelda. Je suis sûre qu’il demandera une Switch (console de jeux portable, ndlr) à ses parents pour Noël.» «La Légende de Zelda», c’est un peu l’univers fétiche de Mijo. «Il me passionne car ce jeu est un véritable conte de fées. Le périple du personnage principal Link, qui doit libérer sa princesse du royaume d’Hyrule…c’est une histoire dont n’importe quelle petite fille rêverait d’être l’héroïne.» 

Cette âme d’enfant n’a jamais quitté le corps de Mijo. Depuis son plus jeune âge, la bretonne a toujours été espiègle, curieuse et joueuse. Elle est issue d’une famille bourgeoise et les passe-temps artistiques de ses parents — du tissage à la peinture — l’ont toujours inspirée et ont nourri sa créativité. «Je suis tombée gravement malade et on m’a isolée pendant longtemps quand j’étais enfant», raconte Marie-Jo, «cette solitude à laquelle j’ai été habituée à l’époque m’a appris à faire preuve d’imagination, à me divertir toute seule.» Avant de geeker, cette fan de Zelda passait son temps à sortir avec ses amis, jouer à des jeux de société, à lire et regarder des dessins animés d’Hayao Miyazaki («Le Voyage de Chihiro»). Elle s’est toujours adaptée aux époques qu’elle a traversées, des Trente Glorieuses, aux seventies, mais ne s’est jamais autant épanouie qu’en 2020. «Ce qui importe pour moi, c’est le présent et l’avenir. Je ne me retourne jamais vers le passé», ajoute Mijo. Aujourd’hui, la septuagénaire vit seule, mais cela lui convient parfaitement «je fais ce que je veux quand je veux et personne n’a rien à me dire», opine-t-elle, «on ne s’ennuie jamais avec moi car je sais toujours m’occuper».  

Une manette pour oublier les douleurs

Pour elle, les jeux vidéo sont un nouveau moyen innovant de restaurer un lien intergénérationnel. Atteinte d’une fibromyalgie, responsable de ses douleurs musculaires chroniques depuis des années, Mijo joue pour s’évader, oublier ses maux. «Manette en main, je ne sens plus rien. J’oublie mes douleurs, le temps qui passe. Je suis Link et je pars sauver ma princesse.» Son hobby, elle le recommande aussi aux autres séniors qui souffrent d’isolement et de rhumatismes. Jouer stimule la mémoire, la réactivité, et lui permet également de se rapprocher de son petit fils de douze ans qui vit aux Etats-Unis. «Je n’ai jamais eu grand chose en commun avec lui depuis sa naissance, regrette la gameuse «on n’a jamais eu d’atomes crochus. Puis je lui ai montré mon univers virtuel  et il s’en est passionné. Cela nous a rassemblés. Depuis, il me montre souvent de nouvelles techniques et a beaucoup de choses à m’apprendre». 

Mijo est également ambassadrice de l’association Silver Geeks, qui regroupe des séniors mordus d’e-sport. «J’ai voulu apporter de la diversité à ce collectif. Ils ne faisaient que de la compétition, et je voulais leur prouver que jouer aux jeux vidéos, ce n’est pas seulement affronter les autres, c’est aussi se divertir et se surpasser.» Aujourd’hui, la gameuse est sur le point de créer une émission YouTube pour laquelle elle va tester chaque jour un nouveau jeu et le présenter à sa communauté. «Je vais faire du streaming mais on aura aussi une chaîne Twitch (une plateforme de vidéos en direct, très populaire auprès des jeunes amateurs de jeux vidéos, ndlr). Elles seront probablement prêtes pour avril ou mai cette année.»

Alexandra Marill