Sur Facebook, les jeunes se déguisent en boomers

Sur un groupe Facebook, plusieurs milliers de jeunes parodient le comportement de leurs aïeux sur internet. Ce « groupe où on prétend être des boomers » symbolise ce décalage entre ces deux générations, et révèle une pointe de tendresse. 

En cette matinée de Noël, Mimille, la soixantaine, envoie un message à ses amis Facebook. « Réveil tardif après le réveillon (couché 3h …) Plus tous jeunes… Grosses bises. Mimille », écrit la retraitée, emmitouflée dans son plaid. Mimille poste également des montages kitsch d’hommages à Johnny Hallyday, des messages en majuscules, des selfies avec Jean-Luc Reichmann ou des jeux de mot douteux.

Mimille n’est en réalité qu’un personnage derrière lequel se cache Hector Bocquet, 21 ans. L’étudiant se prend en photo, puis vieillit et féminise ses traits à l’aide d’une application sur smartphone. « J’essaie de donner un background à Mimille, pour en faire un vrai personnage, explique-t-il, le sourire aux lèvres. Je m’inspire de mes proches, comme de ma grand-mère, qui lui ressemble un peu, ou encore des commentaires de vieilles personnes sur Facebook. »

Ce groupe se « moque gentiment de certains clichés des plus de 55 ans ». Dès leur arrivée, les membres du groupe sont invités à « choisir leur nom de boomer » pour se construire un personnage. Il y a Annick, la présidente du forum, ou Jean-Julien, le trésorier. « Soyez créatifs dans vos posts ! », indique la description. Entre erreurs de destinataires sur Facebook, difficultés avec le clavier et montages moches, les membres ont l’embarras du choix. Le groupe est si réaliste que de « vrais boomers » y échouent, commentent et publient. Souvent sans en saisir l’ironie. 

Un effet exutoire 

« Ce qui m’intéresse, c’est le rapport de cette tranche d’âge aux technologies, à internet et Facebook », explique Anaïs Derache (Annick), 31 ans, l’administratrice du groupe. Elle l’a créé en avril 2020. « Je me marrais sur leur façon de se planter, de bloquer les majuscules, sur leurs vieilles expressions… Et ce côté jeu de rôle s’y prêtait bien. » 

Derrière les maladresses, Anaïs Derache décèle surtout une forme de tendresse. « Les boomers n’ont pas forcément les codes et ils vont poster comme s’ils se parlaient entre eux. Ils ont ce côté déshinibé et inapproprié qui entraîne des situations gênantes. » Loin du cliché de la jeune énervée par les boomers, Anaïs est attendrie par cette génération : « À force de jouer ce rôle, on a de l’affection pour eux. » 

Hector est amusé par ce décalage générationnel : « C’est toujours marrant de voir des gens essayer de maîtriser quelque chose que tu maîtrises déjà. » Le succès de ce groupe (6 300 membres) peut s’expliquer par la revanche des millenials, longtemps caricaturés comme accros à leurs smartphones. « Les boomers que je connais sont pires que moi, niveau réseaux sociaux », s’amuse Hector. Anaïs Derache évoque, elle, un « effet exutoire » : « Au début, les membres publient des messages assez politisés et caricaturaux, du style ‘c’était mieux avant’. Ça sent le vécu. Ensuite, les messages s’adoucissent ».

« On est tous un peu le boomer de quelqu’un »

Anaïs Derache se défend malgré tout d’incarner une rupture générationnelle plus importante. « Les vieux ont toujours été les « cons » d’une génération plus jeune. Et un jour, on sera tous le vieux con. » Mai 68, le droit à l’avortement, l’opposition à De Gaulle… Pour Anaïs Derache, c’est en fait la génération des baby-boomers qui a su s’opposer aux boomers de leur époque, et qui a incarné la plus grande rupture générationnelle.

Mathieu Hennequin