Je t’aime moi non plus, les femmes et la pilule
36,5 % des femmes qui ont recours à la contraception prennent la pilule. C’est le premier moyen contraceptif en France. Symbole de libération sexuelle lors de sa légalisation dans les années 1960, elle est de plus en plus remise en cause par les jeunes femmes.
Juliette a la vingtaine, elle est graphiste à Montreuil. La pilule, c’est sa première contraception, qu’elle a prise dès 17 ans. «Je venais d’avoir un premier copain. C’était la contraception la plus simple à cet âge-là», commente-t-elle. Comme beaucoup de jeunes filles, c’est après une discussion avec sa mère qu’elle se fait prescrire sa première plaquette. Après six ans de comprimés quotidiens, elle décide d’arrêter. Elle passe à une contraception non hormonale, le stérilet au cuivre.
Prise de poids, acné, baisse de libido, sautes d’humeur, maux de tête, douleurs aux seins… Les potentiels effets secondaires de la pilule sont nombreux. Mais ce n’est pas ce qui a motivé la décision de Juliette d’arrêter.
« Ma maman a eu un cancer du sein. Je voulais passer à autre chose, je ne voulais plus avoir d’hormones. »
Juliette
«Je ne me rendais pas forcement compte que j’avais des effets secondaires. C’est quand j’ai arrêté que j’ai vu la différence», raconte la jeune femme. Sous pilule, elle «broyait du noir sans cesse » et «pleurait sans raison, après un compliment ou une remarque».
Une contrainte pour 60% des femmes sous pilule
Outre les effets secondaires, certaines jeunes femmes voient la prise quotidienne et à heure régulière du comprimé – indissociable de l’efficacité – comme une contrainte. Un sondage réalisé par l’IFOP pour le magazine Elle en 2017 révèle que 60% des femmes prenant la pilule trouvent ce moyen de contraception contraignant. 75% craignent qu’il soit dangereux pour leur santé. Mais la pilule a de beaux jours devant elle : 81% des femmes utilisant cette contraception n’envisagent pas de la troquer pour un autre. C’est d’ailleurs le premier moyen contraceptif chez les Françaises.
Les amies de Juliette sont de plus en plus nombreuses à arrêter la pilule. « Quand j’avais 17 ans, toutes mes copines prenaient la pilule. C’est la contraception la plus simple à prendre quand tu commences, avance-t-elle. La pilule convient très bien à certaines femmes. Mais pas à d’autres. Il faut prendre le temps, apprendre à se connaître. »
La pilule serait la première contraception, celle proposée aux jeunes filles avant d’opter pour un autre contraceptif, plus personnalisé. Une analyse que semblent confirmer les chiffres de santé publique France. Selon la dernière étude disponible, qui date de 2016, la pilule est le premier mode de contraception des moins de 30 ans. Et de loin. 44% des 15-19 ans, 52% des 20-24 ans et 43,8% des 25-29 ans prennent la pilule. Au cours de la vie des femmes, la pilule perd du terrain au profit d’autres modes de contraception, notamment le stérilet, utilisé par moins de 5% des 20-24 ans mais posé à une femme de 30-39 ans sur trois.
Un doute sur l’Histoire de la contraception ? Pauline Casanova vous explique tout :
«Ça changeait tout»
Si les amies de Juliette voient de plus en plus la pilule comme une contrainte, pour bien des femmes de la génération de sa grand-mère, elle est synonyme de libération sexuelle. Suzanne, 79 ans, vit dans le Gard. Pour elle, jeune fille dans les années 1960, la pilule, c’était la liberté. «À l’époque la pilule ça n’existait pas. Et donc nous, les filles, on était vraiment sermonnées par nos mamans. Elles nous disaient qu’il ne fallait pas du tout avoir de relations avec un garçon. Pour l’honneur déjà, et, surtout, si on tombait enceinte c’était embêtant, se souvient-elle. La plupart de mes copines, et moi-même, on savait ça.»
«Moi je n’ai jamais enfreint les interdits à cause de ça, parce que la pilule n’existait pas. Et que l’IVG [interruption volontaire de grossesse] non plus.»
Suzanne, née en 1941
Françoise a 81 ans. Elle a vécu la légalisation de la pilule, en 1967. «Ça a changé les rapports entre les hommes et les femmes, la sérénité des femmes vis à vis de leur sexualité. Ça changeait tout. Il est [devenu] possible pour les femmes de se libérer de la hantise d’avoir une grossesse non désirée», explique-t-elle.

Françoise ne comprend pas le rejet de certaines femmes, plus jeunes, à l’égard de la pilule. «On a tellement lutté pour qu’il y ait un moyen de contraception valable, sûr… Maintenant on a toute sorte de pilules, des pilules faiblement dosées, il y a toute sorte de modulations possibles», souligne-t-elle.
Retrouvez le témoignage complet de Françoise dans le podcast de Miren Garaicoechea :
Isabelle, la cinquantaine, est institutrice à Champigny (Val-de-Marne). Comme Juliette, elle a pris la pilule dès ses 17 ans. « Je l’ai prise sans me poser de question. C’était une évidence, c’était le moyen de ne pas tomber enceinte. On prenait toutes la pilule, chacune avait sa plaquette sur sa table de nuit », se souvient-elle.
L’enseignante a deux enfants, dont une fille. « Son rapport à la pilule est complètement différent, elle s’est posé des questions. Elle l’a prise un peu, mais a très vite changé de contraception ». La mère de famille comprend ce rejet. « C’est légitime de se poser ce genre de questions. Nous, à l’époque, on n’avait aucun renseignement. On n’avait pas entendu parler de méthodes alternatives, d’effets secondaires, ou à peine. » Une question de génération donc. Mais surtout d’accès à l’information.
Jeanne Péru-Gelly